PETITES PENSÉES
EN VOYAGE
L'hospitalité
On se rappelle tous
les jours de sa vie l’hôte qui vous a montré de la bienveillance.
Homère, L’Odyssée,
XV, 54 – IXes. av. J.-C.
Dans le cadre d’un
voyage organisé, il suffit de se laisser porter. En autonomie, il
faut s’adapter, trouver les solutions, savoir distinguer le
renseignement désintéressé de l’escroquerie bien rodée,… Dès
la sortie de l’avion tout est nouveau, ou presque. Puis, des
situations nouvelles se présentent régulièrement. La prospection
et la vigilance doivent donc être permanentes. A l’inverse, avec
le temps la connaissance du pays et la maîtrise de la langue
s’améliorent. Et, souvent, on pourra compter sur l’hospitalité
de l’autre.
Voici quelques
histoires. Il y a d’abord eu les amis en France, puis la famille de
Marco et Maria-Belen en Equateur qu’ils ont sollicitée pour nous
accueillir. Mais aussi les rencontres de la route.
Isabelle et Laurent,
Sophie et Bruno, Servane et Gilles, Marie et Julien,… autant d’amis
à visiter que d’étapes réconfortantes et utiles.
Nous sommes arrivés
en famille, soit deux adultes et deux enfants de quatre et huit ans,
à Quito, Equateur, Amérique du Sud. Nous avions une centaine de
kilos de bagages à répartir méticuleusement entre un grand nombre
de sacoches. Nous devions déballer et remonter les deux tandems.
L’aéroport est éloigné de la ville. La circulation est
périlleuse. L’altitude, se fait ressentir. Et nous n’avions rien
réservé.
Mais Juan nous
attendait à l’aéroport. Juan, le père de Marco, a 82 ans. Nous
l’avons rencontré à notre mariage alors qu’il était en voyage
en France. Nous parlions à peine espagnol et il y avait beaucoup de
monde. Nous le connaissions donc à peine. Mais il est venu. Il y
avait même une camionnette pour embarquer les vélos. Juan nous a
ouvert sa maison, nous a accompagnés pour visiter Quito, la
campagne,… Il voulait tout payer. Apparemment c’est le devoir du
plus ancien. Nous devions donc trouver des tactiques pour payer. Nous
avons passé plus d’une semaine chez lui. Il nous a accompagné
pour notre grand départ sur la Panaméricaine et prend régulièrement
des nouvelles.
Marco et
Maria-Belen, en France pour leur thèse, nous ont prêté leur
appartement dans l’immeuble Twin Tower. Pas à New York évidement,
mais dans le centre économique de Quito, près du parc Carolina.
Nous avons ainsi passé une semaine confortable dans le quartier chic
de la capitale.
Nous sommes arrivés
à vélo à Latacunga. Maria-Belen nous avait mis en contact avec son
père Adolfo et son épouse Maria-Helena. Ayant un jour d’avance,
nous avions d’abord pris une chambre à l’hôtel. Adolfo est venu
à la première heure le lendemain. Pas pour nous chercher. Il a
d’abord souhaité que je l’accompagne chez lui, avec sa voiture,
pour voir si la chambre qu’il nous proposait était à notre
convenance ! La maison est accueillante et il y avait en fait
deux chambres et une salle de bain que nous pouvions utiliser comme
nous le souhaitions. Qu’importe ces précisions plutôt agréables,
j’imagine assez mal que l’on puisse refuser une porte ouverte.
Nous avons été
présentés à la famille, Miguel, Marthita et Maria-José. Ils nous
ont également accueillis dans leur maison, ils nous ont préparé de
bons repas, ils nous ont accompagnés pour de nombreuses visites,…
Nous avons aussi été
présentés à des amis. Après presque une semaine passée à chez
eux, Adolfo a pris la parole pour dire combien ils avaient été
heureux de nous accueillir et qu’ils nous souhaitaient un bon
voyage. Après nous avoir ouvert la route le lendemain, il nous dira
qu’il avait la gorge serrée de nous voir partir.
A Tena nous avons
été reçus par Katherine, la nièce de Marco, et son compagnon
Jonathan. Etant médecin depuis moins de un an, Katherine travaille
ici pour l’État. Jonathan, jeune avocat, travaille à Quito. Ils
ont un petit studio et ont poussé les meubles pour nous installer
tous les quatre. Ces jeunes qui démarrent dans la vie nous ont
accueillis à bras ouvert.
Il y a aussi les
rencontres imprévues.
Il nous arrive de
demander l’hospitalité aux pompiers. Les casernes se trouvent
dans des petites villes où il y a des hôtels. Mais les pompiers, en
fonction de leurs moyens, nous mettent à disposition dortoir,
douche, cuisine,… Pour ceux que cela intéresse, il faut savoir que
le pompier de service la nuit aime travailler et n’est pas
discret !
Entre Puyo et Macas,
il n’y a rien, ou pas grand-chose. En tout cas pour se loger. Alors
dans une petite cantina la propriétaire nous a proposé de monter la
tente dans la salle.
Quelque part entre
Cuenca et Oña,
après une journée harassante et près de la nuit tombante, nous
étions au pied d’une côte interminable. Nous avions de quoi
camper et de quoi préparer un repas simple. Mais plus d’eau. Nous
nous sommes arrêtés devant une quinta isolée dans la campagne. Le
propriétaire est sorti par hasard et s’est intéressé à nous.
Dix minutes plus tard nous avions de l’eau, un local avec toilettes
où dormir, les vélos à l’abri,...
A Macas, sur le
point de trouver un hôtel, une jeune femme avec un bébé nous a
interpellés. En réponse à sa question, effectivement nous
« connaissions » Sebastian, mais simplement par un
contact WhatsApp de la veille. Qu’importe, il fallait la suivre.
Nous avons rencontré Sebastian et sa Happy Family qui voyagent à
vélo depuis presque deux ans.
On nous a présenté
Gustavo, enseignant-chercheur en neurobiologie d’Argentine à la
retraite. Il nous a ouvert la porte de sa maison. Cela ne s’
invente pas, Maxime Le Forestier a du venir ici :
C'est une maison
bleue
Adossée à la colline (au sommet plutôt)
On y vient à pied (et aussi à vélo)
On ne frappe pas
Ceux qui vivent là ont jeté la clé (en tout cas les portes ne sont jamais fermées)
On se retrouve ensemble
Après des années de route
Et on vient s'asseoir
Autour du repas
Tout le monde est là
A cinq heures du soir
Adossée à la colline (au sommet plutôt)
On y vient à pied (et aussi à vélo)
On ne frappe pas
Ceux qui vivent là ont jeté la clé (en tout cas les portes ne sont jamais fermées)
On se retrouve ensemble
Après des années de route
Et on vient s'asseoir
Autour du repas
Tout le monde est là
A cinq heures du soir
…
Vous connaissez la
suite.
On nous a emmenés
pour des visites, présentés des voyageurs au long cours. Des gens
défilaient sans arrêt, nous préparions les repas en commun,…
comme dans la chanson.
Cela ressemble à
une sorte d’escale pour les voyageurs qui, pour certains,
n’arrivent pas à repartir. Le climat, la ville, une certaine
nonchalance, les histoire et les projets des uns et des autres,...
J’en suis arrivé à imaginer des films : « Le piège de
Macas » ou « Le triangle de Macas ».
Il n’y a pas de
monde parfait cependant. Après cinq jours, nous reprenions les
vélos.
Des histoires il y
en aura probablement encore d’autres.
La première fois
que j’ai laissé la clef de la maison à un cyclo voyageur
rencontré et accueilli la veille, mes sentiments étaient partagés.
Ce n’était pas un parfait inconnu puisque nous avions eu des
contacts par le réseau Warmshower des cyclo voyageurs. Mais cela
reste virtuel. Après réflexion, un cambriolage à vélo paraissait
peu probable et assez minable. On pouvait toujours imaginer le pire,
mais l’essentiel était que la famille aille bien. Le reste est
matériel ; j’allais au travail serein. Tristan, qui faisait
le tour d’Europe à vélo, n’avait rien dit. J’ai découvert
plus tard sur internet une vidéo ou il montrait cette clef et le mot
l’accompagnant disant à quel point il était touché par cette
marque de confiance. Les voyageurs à qui nous avons laissé la
maison par la suite nous l’ont bien rendu aussi : dessins
d’enfants, ménage,...
A notre tour, des
gens qui nous connaissaient à peine nous ont confié leur maison.
La famille de Marco
et de Maria-Belen, ainsi que les gens rencontrés sur la route, ne
nous connaissaient pas et n’avaient a priori rien à
attendre de nous. On peut imaginer que pour les premiers, certains
auraient pu refuser ou simplement, se sentant obligés, nous proposer
un carré de carrelage. Il en a été tout autrement. Tous nous ont
très bien accueillis, si ce n’est comme des princes.
L’hospitalité
est-elle perçue ici comme un devoir ? Est-elle élevée au rang
d’art ?
Une des raison
d’avoir choisi de voyager à vélo est la proximité. Le contact
est immédiat. Etant une famille, nous ne sommes pas perçus comme
une menace. Nous pensons percevoir chez les autres un mélange
d’admiration, de compassion, d’envie et parfois
d’incompréhension. Les proportions variant selon les gens
rencontrés. L’inconfort et la vulnérabilité que nous nous sommes
indirectement imposés conduisent peut être les autres à nous
proposer spontanément de l’aide. Avec la présence des enfants et
l’attention que leur portent les équatoriens, cela est même
certain.
Un équatorien
catholique pratiquant m’a laissé sous-entendre qu’il était
aussi motivé par sa foi.
Et puis cela doit
intriguer, et peut être même intéresser, d’écouter nos
histoires. Alors plutôt que la télévision, pourquoi ne pas nous
avoir dans le salon ?
Bien sûr,
l’hospitalité représente une économie et souvent une aide
précieuse dans les situations difficiles. La première motivation
doit cependant rester la rencontre, pas le profit. Nous nous
attachons à acheter des aliments, à aider et même faire la
cuisine. Beaucoup de petits malins débrouillards se vantent de
voyager pour rien grâce à l’hospitalité des gens. Connaissant
les revenus occidentaux et ceux des pays traversés, cette démarche
abusive me parait peu honorable. Un voyageur, même a petit budget, a
les moyens de payer un billet d’avion, des affaires et de financer
une période d’inactivité plus ou moins longue. Si il n’est pas
simplement en congés payés ! Situation que de nombreux hôtes
ne pourront jamais s’offrir. Et ce sont pourtant souvent eux les
plus généreux.
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