PETITES PENSÉES
EN VOYAGE
Un succès
inattendu
Nous n’envisagions
pas de médiatiser notre voyage. Ce n’est ni une première, ni un
record, ni un défi sportif. Nous ne voyageons pas « pour »
ou « contre quelque chose ». Notre voyage est un projet
familial.
Aussi, nous n’avons
pas particulièrement cherché de partenaires financiers. Nous ne
nous sentions pas nécessairement légitimes et nous ne voulions pas
nous imposer une contrainte. Cependant, le magasin Décathlon de
Betton nous a spontanément proposé une remise sans contre partie.
Le magazine Carnets d’Aventures nous a offert un abonnement. Et
nous avons été un des lauréats du concours de la chaine de
vélocistes Cyclable. Contraints à modifier notre date de départ,
nous avons décliné ce dernier partenariat.
A l’origine, Célia
a créé Le blog Les Amérikuntz surtout pour informer nos proches
de nos péripéties.
Nous n’avons donc
pas de plan de communication. J’ai simplement apporté un certain
soin aux détails esthétiques. Le matériel et les mallettes, ainsi
que mes vêtements techniques, sont assortis
aux vélos. Cyclotouristes certes, mais cyclotouristes chics.
Mais notre équipage
ne passe pas inaperçu. Les gens nous regardent, nous sourient, nous
saluent, nous questionnent,…
Lorsqu’une
personne vient nous interroger au cours d’une pause ou après nous
avoir interpellé lorsque nous roulions, le fond et la forme de la
conversation sont très variables selon le contexte, sa curiosité ou
sa discrétion.
Notre arrivée crée
parfois un petit évènement et un attroupement se forme. La
situation peut avoir différents caractères.
C’est agaçant,
comme souvent en France, lorsque nous devenons une simple attraction
pour les badauds. Il n’y a plus de place à la discrétion.
Certains font des commentaires : « regarde il est en train
de... ». Il faut malgré nous assurer l’animation et essayer
de satisfaire des attentes parfois élevées : « Vous
allez passer à la télé !? ».
C’est déconcertant
si l’on sort une carte et que les locaux décident de nous
conseiller sur l’itinéraire. Surtout si visiblement ils voient
pour la première fois la carte de leur région, la tiennent à
l’envers, disent n’avoir jamais quitté leur secteur et donnent
des informations contradictoires. J’écoute avec une attention un
peu hypocrite en vérifiant du coin de l’œil que Célia prépare à
l’écart la navigation avec le GPS.
C’est
enrichissant, comme par exemple en Équateur, lorsque le curé du
village nous offrait l’hospitalité dans le presbytère et que les
paroissiens sortis de la messe s’intéressaient avec bienveillance
à ces pèlerins atypiques.
C’est inquiétant,
lorsque des policiers péruviens, trainant une mauvaise réputation
de corruption, nous arrêtent sur le bord de la route. Alors qu’ils
souhaitent simplement discuter et nous prendre en photo.
Ou encore, toujours
au Pérou, lorsqu’à l’entrée d’un village perdu, sous la
pluie, après une journée harassante et une chute sur une piste inondée un cercle se forme avec des regards insistants et des
questions qui pleuvent. Comment cette situation va t’elle évoluer ?
Finalement en plaisanteries, photos et encouragements.
Les voitures et les
camions klaxonnent pour prévenir de leur passage mais aussi pour
saluer. S’y ajoutent appels de phares, pouces en l’air,
commentaires et questions depuis la vitre baissée,…
Ces attentions sont
charmantes mais ils serait préférable d’éviter de nous frôler à
toute allure ou de nous envoyer des gaz d’échappements en
changeant de vitesse dans les côtes.
Souvent, les motards
s’arrêtent ou fond demi-tour pour nous parler. Nous avons en
commun le voyage. Ils sont plus rapides que nous mais restent à
l'extérieur, plus vulnérables et proches de l’environnement qu’en
voiture. Nous avons donc aussi un peu en commun de voyager en deux
roues. La comparaison s’arrête là car ils ont un moteur et nous
des jambes. Un motard belge, parti du Pérou et croisé en Équateur,
nous avait dit que la frontière serait facile mais qu’il faisait
un peu froid. C’était en fait une piste défoncée et très raide,
tantôt sous un soleil de plomb, tantôt sous une pluie torrentielle,
infranchissable pour nous et que nous avons du nous résoudre à
passer en Pick-up.
Les motards semblent
avoir une certaine empathie pour nous et une de leurs premières
questions est de savoir si nous avons besoin d’aide. Eux aussi
doivent connaître les soucis mécaniques et les contraintes
matérielles. Souvent, ils nous disent aussi avec un air de culpabilité qu’ils ne seraient pas capable de faire comme nous.
Je ne l’avoue pas, mais moi je pense parfois à passer le permis
moto et acheter une machine de rallye raid.
Durant l’été
passé, sur une grande ligne droite de la côte Atlantique, une file
de motards en Harley Davidson nous double. Une jeune femme d’une
trentaine d’années conduit la dernière moto et ralentit à la
hauteur de notre vélo. Elle porte des bottes, un pantalon et un
gilet en cuir. Elle a la peau bronzée et un tatouage discret. Elle a
un simple casque et ses cheveux volent au vent. Une beauté sauvage.
Après avoir longuement inspecté notre tandem, elle plante son
regard noir dans celui de Fanch. Si il n’était pas un petit garçon
innocent, il serait tombé du vélo, foudroyé. Elle décroche alors
un large sourire et lance avec un accent ensoleillé « ‘Té !
c’est la classe ! ». La créature visse la poignée et
s’enfuie dans un récital mécanique.
Si certains
demandent si ils peuvent nous photographier, généralement on nous
immortalise sans nous demander notre avis. On déclenche depuis le
bord de la route, en passant en voiture ou même après nous avoir
doublés, s’être arrêtés et avoir attendu notre passage. Parfois
c’est un mini reportage avec interview improvisé et filmé.
Nous sommes loin des
crépitements de flash du tapis rouge de Cannes mais nous ne comptons
plus ces photos. Généralement, sauf peut-être dans les côtes
infernales, nous faisons un signe amical.
Comme je l’ai déjà
écrit, le vélo permet un contact direct, réciproque. Après le difficile passage d’un col andin avec ce moyen de transport, notre
arrivée dans un village ne nous semble pas envahissante. Nous nous
sentons légitimes de saluer cordialement les gens et nous y trouvons
du plaisir. De l’autre côté, il y a probablement de la curiosité.
Certainement aussi de la gentillesse et de la politesse. Est-ce que
ces gens salueraient un groupe de touristes ou un bus qui passe en
trombe ?
L’attention
portée, et en particulier les photos, nous surprenaient un peu au
début. Maintenant nous y sommes presque habitués. Cela ne nous
dérange pas particulièrement, sauf peut être lorsqu’on nous
photographie sans nous adresser la parole.
Nous rencontrons de
notre côté d’autres cyclotouristes au parcours étonnant.
Quotidiennement, la difficulté nous impose une certaine humilité.
Aussi, nous relativisons ce succès inattendu.
Pourtant, lorsque
nous sommes épuisés et découragés, ces attentions nous
réconfortent. Elle nous font lever la tête du guidon et percevoir
la réalité au travers du regard des autres. Nous faisons de notre
rêve une formidable aventure.