PETITES PENSÉES
EN VOYAGE
Au boulot
Cela pourrait
paraître paradoxal, mais pendant mon congé sabbatique j’ai eu
une petite pensée pour le travail.
En regardant celui
des autres.
Les métiers qui ne
sont pas sots.
J’ai déjà évoqué
l’employé qui mettait en sacs plastiques les courses des clients
au bout du tapis roulant de la caisse enregistreuse. Dans ce cas, ce
n’est pas le métier qui est discutable, mais l’usage du
plastique.
A La Paz, capitale
de la Bolivie, des employés déguisés en zèbres gèrent la
circulation aux passages piétons. Le pelage de l’animal rappelle
les motifs au sol. Les cyclovoyageurs et les piétons savent que les
chauffeurs sud américains ne respectent absolument pas ces passages.
Si il le faut, ils n’hésitent pas à accélérer et klaxonner pour
les forcer. Mais devant les zèbres, ils s’arrêtent. Ce travail
protège des vies. Ces déguisements un peu ridicules amusent ils les
chauffeurs ou cachent ils des policiers armés ?
Les vieux métiers.
On s’attend à
voir ces images d’Epinal au cours d’un voyage lointain. Dans la
Sierra, les vieux métiers sont nombreux et imposés par le manque de
moyens. Ils font partie de la culture. Ainsi, les tisseuses avec leur
matériel, leurs couleurs et leurs gestes sont un plaisir pour les
yeux. La confection du tissu est longue et fastidieuse. Comment font
elles pour lutter contre les vêtements de grandes marques importés
à bas prix depuis les pays émergents et vendus bien plus chers aux
touristes ?
Nous avons appris
que dans la Sierra les gens filent et tissent pour eux mais ne
vendent pas. Leur production est insuffisante. Pour les vêtements
comme pour la nourriture, ils vivent en autarcie. Les tisseuses que
l’on observe travaillent en ville, souvent en des lieux
touristiques. La matière première peut être de très bonne
qualité, en particulier la laine de vigogne. Leurs productions sont
magnifiques et un coup d’œil jeté aux étiquettes montre qu’elles
sont destinées aux touristes. On nous a rapporté les paroles d’une
femme accompagnée d’un lama enfilant son costume traditionnel :
« je me déguise » avant de se faire prendre en photo par
les touristes. Les tisseuses citadines feraient elles de la mise en scène également ? Le tissage est un métier traditionnel qui
s’est adapté à la demande des touristes. Cela permet de le
conserver et d’assurer un meilleur revenu aux tisseuses.
Les métiers
disparus chez nous.
On trouve des
cireurs de chaussures un peu partout. Les sud américains se font
cirer les chaussures avec le plus grand détachement. Est-ce un
moment de détente ou seulement un soucis d’élégance ? Vu
l’activité, ce métier doit permettre quelques gains. Lorsque ce
sont des enfants, les questions concernant leur travail se posent. En
particulier celles concernant leur éducation. Vont-ils à l’école ?
« Cirer les pompes » de quelqu’un est abaissant chez
nous. Je n’ai pas eu le sentiment que ce métier soit avilissant en
Amérique du Sud, il fait partie des services courants. Tout est une
question de respect de l’autre. Certains ne l’ont pas. J’ai vu
des touristes hilares se faire cirer les chaussures. Cela semblait
être pour elles une nouvelle attraction proposée par le pays. Elles
donnaient leurs ordres au cireur comme si il était un clown. Tout
cela en anglais, langue qu’elles pensaient probablement être
enseignée en Langue vivante I dans la formation de cireur.
Les métiers
méconnus.
N’étant pas de la
partie, il y a des métiers que l’on ne connaît pas ou mal. En
voyage, on a le temps de les observer. On se rend mieux compte alors
de leur pénibilité.
Les métiers connus.
En connaissant un
domaine d’activité, on apprécie mieux la comparaison. Etant
vétérinaire, j’ai pu échanger avec des confrères, des
ingénieurs agronomes et des éleveurs. La situation est très
différente d’un pays à l’autre. Actuellement en difficulté économique, l’Argentine produit et exporte cependant une viande de
qualité et possède une filière laitière de qualité. Ailleurs,
l’agriculture est souvent vivrière. Dans le désert, dans la
Sierra ou sur l’Altiplano il y a parfois encore moins. En
traversant ces contrées on ne comprend pas comment les habitants
peuvent vivre. La mécanisation est quasi inexistante. Presque tout
est fait à la main, les travaux des champs comme la traite. Les
rares outils sont séculaires. Nous n’avons vu souvent que des
machettes et des sortes de petites bêches bonnes à tout faire, la
chaquitaclla. Des gamins mènent et attellent non pas des bœufs mais
des taureaux. Les bêtes de somme doivent aussi servir à la
reproduction.
Avant notre départ,
j’étais au sein de mon entreprise délégué du personnel et
membre du Comité d’Hygiène, de sécurité et des Conditions de
Travail. J’ai écouté et essayé de comprendre les autres
salariés. J’ai œuvré à la prévention des risques. J’ai
également donné des formations professionnelles pour d’autres
entreprises sur des risques spécifiques que sont les zoonoses, maladies transmissibles entre l'homme et les animaux. Sensibilisé à ces problématiques, j’étais
souvent effrayé en Amérique du Sud par les risques pris par les
travailleurs. Manque de connaissances et de moyens. Nous avons vu des
ouvriers construire un pont au dessus d’un torrent péruvien. Ils
respectaient visiblement les consignes de sécurité. A la base du
pont était apposée une plaque commémorant la mort des membres de
l’équipe précédente partis avec le pont effondré dans les flots
tumultueux. Nous avons appris par la suite que cette équipe, elle,
n’avait pas d’équipement de sécurité.
Nous avons échangé
avec des ouvriers agricoles, mais aussi des étudiants, de jeunes
médecins, avocats,… L’accès à l’emploi, les conditions de
travail, les niveaux de salaire,… le travail est dur en Amérique
du Sud. Entre autres informations, au Pérou la semaine de travail
est de 48 heures et 6 jours (France Diplomatie,
www.diplomatie.gouv.fr).
Dans On lache
rien, HK et Les Saltimbanks chantent « Ils nous parlaient
d’égalité. Et comme des cons on les a crus » (album Citoyen
du monde, 2011). Ainsi, en Bolivie, le Parlement a approuvé le
02 juillet 2014 le travail des enfants dans le nouveau code de
l’enfant et de l’adolescent (La Bolivie autorise le travail
des enfants dès 10 ans. Chrystelle Barbier. Le Monde,
05/07/2014). Face au tollé de différentes organisations, le
gouvernement d’Evo Morales invoque la situation de leur pays pour
justifier cette décision. C’est vrai, là-bas la situation n’est
pas la même. Les enfants des pauvres ont besoin de travailler pour
vivre. Ils ne pourront pas aller à l’école. Le taux
d’analphabétisation restera élevé. Ils n’auront pas accès aux
emplois les plus rémunérateurs. Ils pourront toujours chercher le
bouton de l’ascenseur social. Il n’y a qu’un escalier délabré.