PETITES PENSÉES
EN VOYAGE
A votre bon cœur
Quand je prenais le
métro parisien, je ne donnais généralement qu’aux musiciens. Ils
offraient un divertissement qui méritait bien une pièce. Pour
certains, des jeunes apparemment en bonne santé, je pensais qu’ils
pouvaient toujours réussir à s’en sortir autrement, que faire la
manche n’était pas une solution. Voir des adultes avec des bébés
ou des enfants mendier me révoltait et je pensais qu’il ne fallait
pas les conforter dans cette voie. Des jugements sans doute hâtifs.
Je ne connaissais l’histoire d’aucun et ne pouvais ni comprendre,
ni juger.
A la sortie de la
messe, petit garçon fraîchement sermonné, je donnais également.
Il y a bien longtemps
que je ne vis plus en région parisienne. Il y a bien longtemps que je
ne vais plus au catéchisme. Et depuis j’ai vu d’autres choses au
cours de mes voyages.
Routard novice, j’ai
appris à me protéger de la misère du monde. Je n’en étais pas
responsable et je ne pouvais rien y changer. Je ne pouvais pas non
plus donner à tous. Je pouvais au moins prétendre avoir vu cette
misère et en avoir pris conscience. J’y voyais peut être même un
certain charme exotique. Je me prenais pour un explorateur du XIXème
siècle déambulant le plus naturellement du monde dans les soukhs et
quartiers populaires.
Adolescent, je
connaissais l’histoire de l’Afrique du Sud et de l’apartheid.
J’étais fan du musicien Johnny Clegg et sensibilisé à cet
ailleurs. Je savais pourquoi était écrit « Libérez Mandela »
sur les murs de nos banlieues. J’ai connu sa libération (1990).
J’ai participé en 2005 à une mission scientifique sur un oiseau
marin, le Fou du Cap, dans ce pays. L’apartheid avait été aboli
(1994), Nelson Mandela avait été président (1994 à 1999). C’était
différent. Mais en partant sur notre terrain, nous avons roulé le
long du township de Cape Town. Une révélation : ça existait
vraiment et encore.
Je sais que la
misère a toujours existé, comme l'a si bien décrite Victor Hugo
dans Les Misérables (1862). Je sais qu’elle peut être bien
plus terrible dans des pays que je ne connais pas. Bien que pour la
voir, il n’y a pas besoin d’aller bien loin dans l’espace ou
dans le temps. Aujourd’hui, il suffit de regarder sous les ponts de
notre capitale pour voir qu’elle est toujours là.
Les pays traversés
au cours de notre périple en Amérique du Sud ne sont pas les plus
pauvres du monde. Mais la différence avec l’occident est
flagrante. Selon la Banque Mondiale, en 2011, la consommation
moyenne, ou revenu moyen par habitant et par jour, pour les 40 % plus
pauvres de la population, est en $US, de 4,8 au Pérou et 4,4 en
Bolivie. Des chiffres à comparer à ceux du Bangladesh (2,0) et des
Etats Unis (26,4). C’est un indicateur parmi d’autres...
Dans certains
villages de la Sierra il n’y a presque rien. Ni électricité, ni
eau courante. On travaille la terre à la main, on répare comme on
peut, on vend quelques fruits et légumes,… Cependant, je n’ai
pas le souvenir d’avoir vu un mendiant. Je ne peux pas dire qu’ils
avaient l’air malheureux. J’ai plutôt vu du dénuement que de la
misère. Comme partout, elle semble se concentrer dans les villes :
exode rural, emplois précaires, maladies, prix des logements,…
L’inégalité est un gouffre. Les plus démunis vivent souvent sur
le trottoir entre villas et voitures de luxe. Beaucoup tentent de
vendre de petites choses, nourriture ou petits objets. Surtout des
femmes, âgées ou accompagnées d’enfants et des enfants seuls. On
se demande si ils arrivent à en vivre tant les prix sont bas et les
clients rares. D’autres mendient. Ce sont plutôt des personnes
handicapées, mutilées, âgées,...
Mes enfants m’ont
demandé en les voyant, comment certaines personnes étaient devenues
des mendiants. Je leur réponds, à tout hasard, que peut-être
l’âge, la maladie, un malheur, l’alcool, la drogue,… En fait,
je ne connais toujours pas leurs histoires.
Ils m’ont ensuite
demandé pourquoi je ne leur donnais pas. J’ai cherché à me
justifier. Des éléments finement dosés de géopolitique, de
théologie, de sociologie et d’économie ne m’ont permis de
proposer que des réponses bancales et hypocrites.
Alors que nous
prenions un café et des pâtisseries sur la côte péruvienne, une
mendiante âgée est venue près de notre table. Comme je l’ai
appris en routard expérimenté, j’ai dit « No gracias »
en regardant ailleurs. Alors, elle est partie à la table d’à côté
où il y avait un très jeune couple. Le garçon a immédiatement
fouillé dans sa poche pour lui donner une pièce.
No gracias !?
Non merci pour quoi !? J’ignore sa misère pour me concentrer
sur mon bonheur. C’est pour moi un autre jour au paradis, Another
day in paradise comme le chante Phil Collins (album But
Seriously, 1989).
Dans la Sierra, les
premiers contacts ne sont pas faciles, mais nous avons toujours été
bien accueillis. On nous a souvent offert un toit, de l’eau, de la
nourriture, de la sécurité,… et surtout des sourires et des rires
d’enfants.
Au cours de notre
voyage, j’ai découvert cette loi socio-économique : moins on
possède, plus on donne. Et j’ai compris que malheureusement je
tendais vers l’autre côté de la courbe…
Alors j’ai
réappris à donner.
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