samedi 7 juillet 2018


PETITES PENSÉES EN VOYAGE

A votre bon cœur

Quand je prenais le métro parisien, je ne donnais généralement qu’aux musiciens. Ils offraient un divertissement qui méritait bien une pièce. Pour certains, des jeunes apparemment en bonne santé, je pensais qu’ils pouvaient toujours réussir à s’en sortir autrement, que faire la manche n’était pas une solution. Voir des adultes avec des bébés ou des enfants mendier me révoltait et je pensais qu’il ne fallait pas les conforter dans cette voie. Des jugements sans doute hâtifs. Je ne connaissais l’histoire d’aucun et ne pouvais ni comprendre, ni juger.
A la sortie de la messe, petit garçon fraîchement sermonné, je donnais également.
Il y a bien longtemps que je ne vis plus en région parisienne. Il y a bien longtemps que je ne vais plus au catéchisme. Et depuis j’ai vu d’autres choses au cours de mes voyages.

Routard novice, j’ai appris à me protéger de la misère du monde. Je n’en étais pas responsable et je ne pouvais rien y changer. Je ne pouvais pas non plus donner à tous. Je pouvais au moins prétendre avoir vu cette misère et en avoir pris conscience. J’y voyais peut être même un certain charme exotique. Je me prenais pour un explorateur du XIXème siècle déambulant le plus naturellement du monde dans les soukhs et quartiers populaires.

Adolescent, je connaissais l’histoire de l’Afrique du Sud et de l’apartheid. J’étais fan du musicien Johnny Clegg et sensibilisé à cet ailleurs. Je savais pourquoi était écrit « Libérez Mandela » sur les murs de nos banlieues. J’ai connu sa libération (1990). J’ai participé en 2005 à une mission scientifique sur un oiseau marin, le Fou du Cap, dans ce pays. L’apartheid avait été aboli (1994), Nelson Mandela avait été président (1994 à 1999). C’était différent. Mais en partant sur notre terrain, nous avons roulé le long du township de Cape Town. Une révélation : ça existait vraiment et encore.
Je sais que la misère a toujours existé, comme l'a si bien décrite Victor Hugo dans Les Misérables (1862). Je sais qu’elle peut être bien plus terrible dans des pays que je ne connais pas. Bien que pour la voir, il n’y a pas besoin d’aller bien loin dans l’espace ou dans le temps. Aujourd’hui, il suffit de regarder sous les ponts de notre capitale pour voir qu’elle est toujours là.

Les pays traversés au cours de notre périple en Amérique du Sud ne sont pas les plus pauvres du monde. Mais la différence avec l’occident est flagrante. Selon la Banque Mondiale, en 2011, la consommation moyenne, ou revenu moyen par habitant et par jour, pour les 40 % plus pauvres de la population, est en $US, de 4,8 au Pérou et 4,4 en Bolivie. Des chiffres à comparer à ceux du Bangladesh (2,0) et des Etats Unis (26,4). C’est un indicateur parmi d’autres...
Dans certains villages de la Sierra il n’y a presque rien. Ni électricité, ni eau courante. On travaille la terre à la main, on répare comme on peut, on vend quelques fruits et légumes,… Cependant, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu un mendiant. Je ne peux pas dire qu’ils avaient l’air malheureux. J’ai plutôt vu du dénuement que de la misère. Comme partout, elle semble se concentrer dans les villes : exode rural, emplois précaires, maladies, prix des logements,… L’inégalité est un gouffre. Les plus démunis vivent souvent sur le trottoir entre villas et voitures de luxe. Beaucoup tentent de vendre de petites choses, nourriture ou petits objets. Surtout des femmes, âgées ou accompagnées d’enfants et des enfants seuls. On se demande si ils arrivent à en vivre tant les prix sont bas et les clients rares. D’autres mendient. Ce sont plutôt des personnes handicapées, mutilées, âgées,...



Mes enfants m’ont demandé en les voyant, comment certaines personnes étaient devenues des mendiants. Je leur réponds, à tout hasard, que peut-être l’âge, la maladie, un malheur, l’alcool, la drogue,… En fait, je ne connais toujours pas leurs histoires.
Ils m’ont ensuite demandé pourquoi je ne leur donnais pas. J’ai cherché à me justifier. Des éléments finement dosés de géopolitique, de théologie, de sociologie et d’économie ne m’ont permis de proposer que des réponses bancales et hypocrites.

Alors que nous prenions un café et des pâtisseries sur la côte péruvienne, une mendiante âgée est venue près de notre table. Comme je l’ai appris en routard expérimenté, j’ai dit « No gracias » en regardant ailleurs. Alors, elle est partie à la table d’à côté où il y avait un très jeune couple. Le garçon a immédiatement fouillé dans sa poche pour lui donner une pièce.
No gracias !? Non merci pour quoi !? J’ignore sa misère pour me concentrer sur mon bonheur. C’est pour moi un autre jour au paradis, Another day in paradise comme le chante Phil Collins (album But Seriously, 1989).



Dans la Sierra, les premiers contacts ne sont pas faciles, mais nous avons toujours été bien accueillis. On nous a souvent offert un toit, de l’eau, de la nourriture, de la sécurité,… et surtout des sourires et des rires d’enfants.

Au cours de notre voyage, j’ai découvert cette loi socio-économique : moins on possède, plus on donne. Et j’ai compris que malheureusement je tendais vers l’autre côté de la courbe…
Alors j’ai réappris à donner.





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