PETITES PENSÉES
EN VOYAGE
Camping
Lorsque j’étais
petit, nous avions une grande tente. Si nous ne partions pas en
Irlande dans ma famille maternelle, nous allions nous installer dans
un camping quelque part en France. Ce n’était pas de l’itinérance,
cependant nous changions chaque année de destination. Nous
profitions des alentours et faisions de nombreuses visites. Au
camping nous jouions avec les autres enfants, calmement ou en faisant
des bêtises comme savent en faire les enfants.
Plus tard nous avons
eu une caravane. Elle n’a pas tellement modifié l’approche de
nos vacances, mais amélioré notre confort. De plus, elle était
installée à l’année dans un camping proche de notre ville et
nous pouvions y aller le week-end. Nous retrouvions du calme, de la
verdure, des amis,… Même le chat, profitait de ces escapades.
Le camping était
pour mes parents, j’imagine, un moyen abordable d’offrir des
vacances agréables et constructives à la famille. Ce n’était pas
une finalité. Cependant, je n’ai pas le souvenir de conditions
spartiates, enfant on s’adapte très facilement.
J’ai également
été scout. Louveteau en fait, en raison de mon âge. De France
précisément. Les enfants attachaient une grande importance à cette
distinction des scouts d’Europe qui eux avaient des uniformes
impeccables et allaient assidûment à la messe. Nous, nous portions
un peu le foulard et nos habits étaient dépareillés. Nous n’en
avions pas conscience mais il s’agissait déjà d’une différence
de catégories sociales.
Nous allions parfois
à la messe. Vu le déroulement, nos chefs n’ont pas insisté. Par
respect pour les autres et peut être même pour Dieu !? Nous
faisons plutôt des activités, du sport,… toutes sortes de choses
qui peuvent occuper des gamins qu’il y ait écrit sur une étiquette
« scoutisme » ou autre chose.
Nous faisons surtout
du camping. Pas de parents, seulement nos chefs qui nous accordaient
une certaine confiance et donc une liberté qui nous paraissait
immense. Nous dormions par six dans de grandes tentes canadiennes en
coton. Nous allions couper du bois pour faire du feu et la cuisine.
Nous installions des tables à feu, des toilettes,… Nous faisions
toutes sortes d’activités en commun. Pour se construire, il faut
aussi braver les interdits. Nous avions notre premier Opinel, le n°8.
Il servait à tout et aussi beaucoup à jouer à la « pichenette ».
Nous fumions des tiges de sureau autour du feu. J’ai le souvenir de
petites fugues nocturnes et de simulacres de combats à la hache,…
Je ne sais pas si
nous étions en conformité avec le concept initial de Baden-Powell.
Qu’importe.
Plus tard ont
commencé les voyages et les grandes randonnées avec les amis. Le
bivouac se situait entre l’expérimentation, le défi,
l’accomplissement et la galère. Le luxe était une cabane des
Pyrénées avec un feu de bois. Dans un autre genre : dormir
dans des igloos que nous avions construits sur le plateau de l’Aubrac
sous l’œil perplexe de nos huskys. Différents endroits,
différentes saisons, différentes conditions,… toujours des
copains, que des bons souvenirs.
Puis est venu le
temps des voyages lointains, des expéditions. Camper à Crozet, dans
les quarantièmes rugissants, et se demander si un éléphant de mer
en rut va venir écraser la tente. Ou la tenir de l’intérieur
toute la nuit pour qu’elle ne s’envole pas. Profiter au Groenland
Ouest , sous forme d’insomnies, du soleil de minuit à travers la
toile. De l’autre côté, à l’Est, avoir troqué la tente pour
une cabane mais aussi un fusil porté à chaque sortie en raison des
ours polaires,…
Dans ces conditions,
le bivouac requiert une certaine maîtrise technique. L’inconfort
peut rapidement s’aggraver et être la source ou contribuer à
l’accident. Et les connaissances acquises dans un milieu ne
s’appliquent pas dans un autre. Jean-Louis Etienne recommande une
petite brosse pour enlever la neige avant de rentrer dans la tente.
Ainsi elle ne fond pas à l’intérieur sur les affaires avant de
regeler pendant la nuit. Ca n’a l’air de rien une petite brosse,
mais il faut essayer en bivouac hivernal, c’est très pratique.
Dans le désert, pour le sable, avec un peu de snobisme pourquoi pas.
En revanche, en Amazonie, je doute de l’intérêt.
Pour les
informations techniques, entre les manuels des scouts et les guides
de survie, la littérature ne manque pas.
Dormir à
l’extérieur peut être une obligation dans le cadre d’une
expédition scientifique. Pour moi, ce n’est cependant pas une
contrainte. Le ressenti est celui d’un voyage nature ou d’un
trekking. Le bivouac fait partie du projet.
On ne s’immerge
pas dans la nature vierge en sortant de 10 heures à 17 heures avant
de retourner à l’hôtel. Il y a une notion d’engagement :
partir loin et longtemps. En Tasmanie, nous avons marché dix jours
dans le South-West National Park et croisé cinq personnes. Pour le
bivouac, il faut trouver le bon endroit ou camper : accessible
si on est en kayak, proche d’un point d’eau, abrité du vent,
avec un sol ni humide ni agressif,… et tout ça avant la nuit.
Après qu’elle soit tombée, l’obscurité et l’isolement ne
font que rapprocher de la nature. Un cri de chouette, un craquement
de branche, le vent sur la toile de tente, les ombres mouvantes avec
le clair de lune,... autant de petits détails qui aiguisent les sens
et éveillent l’imagination.
On se blottit dans
son duvet comme une grosse larve dans son cocon et on s’endort
après une bonne journée d’effort.
Il peut y avoir des
belles surpirses. J’ai connu, toujours en Tasmanie, un wombat qui
creusait sous le matelas, un opossum venu voler le chocolat dans un
sac à dos sous l’abside. Au Québec les moustiques ne sont en
revanche absolument pas une surprise et on s’organise pour éviter
la visite d’un ours noir.
Avec l’expérience
on chasse le poids et le superflu. La maîtrise s’approche
finalement du dénuement.
On l’aura compris,
camper en pleine nature avec le strict nécessaire est un pur
plaisir. Ma madeleine de Proust est un nescafé au lait concentré
sucré dans la douce lumière du petit matin.
Choisir de camper au
cours d’un voyage à vélo signifie se charger beaucoup plus mais
de gagner en autonomie.
En France, le
camping sauvage n’est pas possible partout, voir même interdit.
Aussi au cours de nos périples, nous optons souvent pour des
campings aménagés. C’est un compromis pour les enfants qui y
trouvent du confort et se font des copains avec lesquels jouer. Je
n’écrirai pas ici un guide des campings français mais simplement
un petit retour d’expérience.
Premier constat,
c’est souvent exorbitant : plusieurs dizaines d’euros pour
quelques mètres carrés et une douche.
Autre constat, le
film Camping n’est pas une comédie mais un documentaire. Au
camping, nous croisons des gens avec des objectifs et une logistique
bien différentes. Une femme effondrée se plaint auprès de son
mari car elle a oublié son fer à friser. Un autre n’a
probablement aucun penchant pour le nomadisme vu les armoires
normandes installées dans le auvent de sa caravane et les pots de
fleurs autour. Certains comparent les gadgets technologiques de leur camping-car. Les adolescents paradent. Les uns et les autres déplacent
lessive ou vaisselle... Mais il règne une ambiance bon enfant. Les
enfants courent dans tous les sens, les adultes souriants et
détendus, boivent l’apéritif et jouent à la pétanque,…
certains reviennent chaque année depuis parfois des décennies et y
retrouvent leurs copains. Finalement ce camping là est peut être un
peu « prolo » mais sympathique aussi.
En septembre, les
enfants ont retrouvé leur école et les parents leur quotidien. Par
la suite, nous avons surtout croisé des retraités, majoritairement
anglais et hollandais, équipés de caravanes ou de camping cars
monstrueux et flambant neufs. Les plus gros font la longueur d’un
bus et se déploient à l’arrêt. Leur coût est celui de plusieurs
tours du monde à vélo. A l’arrivée, un camping-car se gare
facilement. Mais il existe aussi des caravanes motorisées qui se
dirigent avec une télécommande comme un jouet. Comme je l’écrivais,
nous recherchons au camping le dénuement. Eux, cherchent à
reproduire leur confort domestique. Pourquoi pas. Dans certaines
conditions difficiles, il faut avouer que nous pourrions même
les envier. La suite me dérange un peu plus. La priorité de ces
campeurs est d’installer une antenne parabolique avant de
s’enfermer devant une chaine de télévision de leur pays.
L’ambiance bon enfant a disparu depuis longtemps. Cette fois c’est
la découverte et la rencontre qui ne semblent pas les intéresser.
Nous avons même connu un camping tenu par des hollandais avec des
indications rarement traduites en français et dans lequel nous avons
ressenti une certaine animosité. Pensez-donc : des français à
vélo !
Non, ils n’étaient
pas tous comme ça. Nous en avons aussi rencontrés des sympathiques,
ouverts et heureux de visiter la France.
En Amérique du Sud
nous n’avons pas, pour l’instant, eu souvent l’occasion de
camper. Dans les parcs, comme au pied du volcan Cotopaxi, les sites
sont superbes.
Mais ils sont
parfois accessibles en véhicule motorisé. Aussi, on peut y
retrouver des gens qui y viennent avec tout : barbecue,
nourriture et boisson à profusion, musique,… Et comme décrit dans
une autre pensée, certains ne se soucient pas de remporter leurs
déchets. Une approche différente. Le parc semble être perçu comme
une attraction consommable plutôt que comme une aire protégée
accessible sous certaines conditions et avec respect.
Dans les campings
proches des villes on y retrouve surtout des routards de tout âge,
nationalité, projet, parcours,… Les discussions qui éveillent des
idées et remotivent vont bon train.
Le matériel de
camping est aussi une sécurité si nous ne trouvons pas de point de
chute en soirée. Mais à chaque fois nous avons bénéficié de
l’hospitalité et des solutions sud américaines et la tente est
restée dans son sac.
L’autonomie et
l’aventure à vélo avec des enfants impliquent du poids
supplémentaire. Nous pourrions choisir d’abandonner le matériel
de camping et opter pour une autre organisation et une autre
philosophie. Ou pousser le raisonnement et voyager dans un
camping-car de baroudeur comme nous pouvons en croiser.
Mais pour le moment
nous continuons à pédaler et planter des sardines !