samedi 3 mars 2018


PETITES PENSÉES EN VOYAGE

Le courage de partir

L’idée d’un grand voyage a évolué dans notre imaginaire avant de devenir un projet. La concrétisation demandait ensuite un certain courage. Tout au moins, c’est ce que beaucoup nous disent.


Les raisons pour reporter ou annuler un départ sont nombreuses. Aussi, nous avions fixé la date de départ deux ans à l’avance. Nous partirions en août 2017. Nous avons vu par la suite que cette échéance n’était pas exagérée afin de boucler le budget et de régler tous les détails de notre voyage. Mais un tel délai laisse parfois le doute s’insinuer.

Lorsque je réalisais les démarches pour hiverner à Crozet dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises, je jouais avec le feu. Je pouvais vivre une grande aventure. Mais je pouvais aussi tout arrêter au dernier moment. Paul-Emile Victor décrit bien cette attitude avant sa première expédition au Groenland en 1934. Sa rencontre avec Jean-Baptiste Charcot fut décisive, il prit son premier départ et eut sa formidable carrière. Ces lectures me firent comprendre que jouer avec l’idée d’un projet n’était pas suffisant. Il fallait s’engager. Comme l’a écrit Oscar Wilde : «La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit».

Mais notre projet n’est pas qu’un engagement personnel. Nous allions déscolariser les enfants, quitter nos familles et nos amis, confier nos animaux, laisser notre maison,… une fois partis nous allions connaître l’inconfort, la fatigue, les dangers,… Un grand voyage a peu de choses en commun avec des vacances à l’étranger.

Durant l’été 2016, au cours de nos vacances à vélo dans le Morvan, j’avais le temps de penser à tout cela. La prochaine étape était ma demande de congé sabbatique. Après soixante ans d’existence de l’association pour laquelle je travaille, aucun salarié n’avait fait cette demande. J’étais assez sceptique quand à la décision de mon directeur. Si ma demande était refusée, j’aurai du mal à accepter que notre projet de famille soit abandonné suite au choix d’une tierce personne. La seule alternative serait de démissionner.

Quitter mon travail, avoir l’emprunt de la maison, dépenser toutes nos économies, partir un an à l’étranger, revenir à quarante cinq ans, chercher un autre travail,… je pensais qu’un tel scénario impliquait une prise de risques peut être déraisonnable.
Perdu dans mes pensées, l’image d’Aylan, ce petit Syrien d’origine kurde de trois ans retrouvé mort sur une plage turque, m’est revenue. La photographie du 02 septembre 2015 de Nilüfer Demir avait rapidement fait le tour du monde. Symbole de la crise migratoire européenne, montage, manipulation ? Elle est aussi devenue un sujet de polémique (Mort d’Aylan : mensonges, manipulation et vérité. Le Monde, 10 septembre 2015).
Cette même année 2016, avaient été observés 511 371 franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Union européenne et l’arrivée sur le sol européen d’environ 382 000 migrants, à comparer aux 1 800 000 franchissements irréguliers de 2015 (rapport FRONTEX, European Border and Coast Guard Agency, 15 février 2017).
Les conditions de passage sont atroces et périlleuses et les morts se comptent par milliers (Morts en Méditerranée : comment le drame des migrants s’est concentré en Italie. Le Monde, 06 juillet 2017).
Sur mon tandem, je regardais mes enfants. J’hésitais à les emmener voir la beauté du monde. Nous roulions tranquillement le long d’un canal, mais j’étais bouleversé par une image atroce et des chiffres vertigineux. Quel hasard nous fait connaître des sorts si différents ?
D’autres hommes fuient leur misère ou une guerre qui n’est pas la leur. Ils partent vers l’inconnu en prenant des risques immenses. Je salue ce véritable courage.

Ma décision était prise, nous partirions.

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