PETITES PENSÉES
EN VOYAGE
Le courage de
partir
L’idée d’un
grand voyage a évolué dans notre imaginaire avant de devenir un
projet. La concrétisation demandait ensuite un certain courage. Tout
au moins, c’est ce que beaucoup nous disent.
Les raisons pour
reporter ou annuler un départ sont nombreuses. Aussi, nous avions
fixé la date de départ deux ans à l’avance. Nous partirions en
août 2017. Nous avons vu par la suite que cette échéance n’était
pas exagérée afin de boucler le budget et de régler tous les
détails de notre voyage. Mais un tel délai laisse parfois le doute
s’insinuer.
Lorsque je réalisais
les démarches pour hiverner à Crozet dans les Terres Australes et
Antarctiques Françaises, je jouais avec le feu. Je pouvais vivre une
grande aventure. Mais je pouvais aussi tout arrêter au dernier
moment. Paul-Emile Victor décrit bien cette attitude avant sa
première expédition au Groenland en 1934. Sa rencontre avec
Jean-Baptiste Charcot fut
décisive, il prit
son premier départ et eut
sa formidable carrière. Ces lectures me firent comprendre que
jouer avec l’idée d’un projet n’était pas suffisant. Il
fallait
s’engager. Comme l’a
écrit Oscar Wilde : «La
sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas
les perdre de vue lorsqu’on les poursuit».
Mais
notre projet n’est pas qu’un engagement personnel. Nous allions
déscolariser les enfants, quitter nos familles et nos amis, confier
nos animaux, laisser notre maison,… une fois partis nous allions
connaître l’inconfort, la fatigue, les dangers,… Un grand voyage
a peu de choses en
commun avec des vacances à l’étranger.
Durant
l’été 2016, au cours de nos vacances à vélo dans le Morvan,
j’avais le temps de penser à tout cela. La prochaine étape était
ma demande de congé sabbatique. Après soixante ans d’existence
de l’association pour laquelle je travaille, aucun salarié n’avait
fait cette demande. J’étais assez sceptique quand à la décision
de mon directeur. Si ma demande était refusée, j’aurai du mal à
accepter que notre projet de famille soit abandonné suite au
choix d’une tierce
personne. La seule alternative serait de démissionner.
Quitter
mon travail, avoir l’emprunt de la maison, dépenser toutes nos
économies, partir un an à l’étranger, revenir à quarante cinq
ans, chercher un autre travail,… je pensais qu’un tel scénario
impliquait une prise de risques peut
être déraisonnable.
Perdu
dans mes pensées, l’image d’Aylan, ce
petit Syrien d’origine
kurde de trois ans retrouvé
mort sur une plage turque, m’est revenue. La
photographie
du
02 septembre 2015 de Nilüfer
Demir avait rapidement fait
le tour du monde. Symbole de la crise migratoire européenne,
montage, manipulation ? Elle est aussi devenue un sujet de
polémique (Mort d’Aylan :
mensonges, manipulation et vérité. Le
Monde, 10 septembre 2015).
Cette
même année 2016, avaient été observés 511
371 franchissements irréguliers des
frontières extérieures de l’Union européenne et
l’arrivée sur le sol européen d’environ 382 000 migrants, à
comparer aux 1 800 000 franchissements irréguliers de
2015 (rapport FRONTEX,
European Border and Coast Guard Agency, 15 février 2017).
Les
conditions de passage sont atroces et périlleuses et les morts se
comptent par milliers (Morts
en Méditerranée : comment le drame des migrants s’est
concentré en Italie. Le
Monde, 06 juillet 2017).
Sur
mon tandem, je regardais mes enfants. J’hésitais
à les emmener voir la beauté du monde. Nous
roulions tranquillement le long d’un canal, mais j’étais bouleversé par une image atroce et des chiffres vertigineux. Quel
hasard nous fait connaître des sorts si différents ?
D’autres
hommes fuient leur misère ou une guerre qui n’est pas la leur. Ils
partent vers l’inconnu en prenant des risques immenses. Je salue ce
véritable courage.
Ma
décision était prise, nous partirions.
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