PETITES PENSÉES EN VOYAGE
Marchandage
Il me semble n’avoir jamais vu dans nos pays
occidentaux quelqu’un discuter le prix de ses courses. Mais dans les pays
« en voie de développement », le marchandage semble être pour les
touristes une pratique courante, presque obligatoire.
Dans les marchés péruviens et équatoriens par
exemple les prix ne sont pas affichés, donc peut-être pas fixés. On peut alors
imaginer qu’ils augmentent pour les gringos. Cependant, ces marchés sont
destinés à la consommation locale et ne sont pas fréquentés par les groupes de
touristes. Il suffit d’en avoir fréquentés quelques un, d’observer les achats
des péruviens et de questionner les différents vendeurs pour connaître les
prix. On se rend compte que le prix annoncé est relativement stable. Il varie
seulement avec la qualité des produits et la localisation. Les mangues sont
belles et bon marché en Amazonie, moins alléchantes et plus chères en ville ou
dans la Sierra.
On trouve des points de vente de produits
destinés aux touristes : artisanat, vêtements plus ou moins typiques,
nourriture importée comme des barres de chocolats,… Ces lieux se situent dans les
centres villes ou à proximité de sites touristiques où les parkings sont
adaptés aux bus. Cette fois, ce sont les locaux qui ne fréquentent pas ces
endroits. Comparés au niveau de vie du pays, les prix sont très élevés tout en
restant accessibles aux touristes. Bien que l’achat d’un pull en alpaga reste
un investissement non négligeable. Ces prix sont également élevés relativement
au coût de production qui n’est d’ailleurs pas forcément local. J’ai acheté au
Guatemala un couteau aux allures mayas avant de lire, gravé sur la lame,
« made in China ».
Le prix est fixé par la loi de l’offre et de la
demande et tout peut se négocier. Il semble que pour certains vendeurs ce soit
même un jeu. Dans la Vallée des rois en Egypte, je voulais acheter une
bouteille d’eau de 1,5 l à un marchand isolé. Je ne voulais payer qu’une livre,
le prix habituel à Louxor, la ville la plus proche, contre les trois livres annoncées.
Le marchandage s’est engagé, chacun restant sur sa position. Le vendeur n’était
pas pressé, nous non plus. Est arrivé un couple de touristes grands, blonds et
rougeots qui souhaitait acheter une bouteille de 0,5 l. Le vendeur leur a
demandé trois livres, tarif qu’ils n’ont pas discuté. D’une main le vendeur
leur a pris les trois livres pour la petite bouteille et de l’autre nous a
tendu notre grande bouteille en acceptant une livre. Il affichait un large
sourire et, comme nous, se retenait de rire.
Dans le Souk de Marrakech ce jeu devient un
sport, presque un une lutte acharnée.
En Islande ou en Norvège, où la vie est très
chère, on ne discute pas les prix. C’est une autre loi de l’économie :
plus le pays est pauvre, plus on cherche à faire baisser les prix. Une loi un
peu absurde.
Lors de mes premiers voyages de routards, j’ai
appris à marchander. Attention, on ne la fait pas à un baroudeur comme moi!
Cela me fait maintenant un peu sourire. Les prix indiqués dans les guides
touristiques sont souvent plus élevés que ceux trouvés en fouinant un peu. Plus
la densité de touristes est forte, plus les tarifs sont élevés. Moins les
touristes restent longtemps, moins ils ont le temps de connaître les prix
réels. Dans les marchés à souvenirs, le prix de départ s’approche souvent de
l’escroquerie. Il aura baissé après marchandage mais il reste élevé pour les
vendeurs. L’acheteur est persuadé d’avoir fait l’affaire du siècle. A lui non
plus on ne la fait pas, mais en réalité il aura souvent payé un prix encore
élevé. Qu’importe, l’économie tourne et tout le monde est content.
Au cours d’un grand voyage, le budget est serré
et on ne cherche pas le luxe proposé aux touristes. On n’achète que le nécessaire,
la nourriture en particulier, sans s’encombrer de souvenirs. On fréquente les
marchés locaux en connaissant les prix. Mais on cherche toujours à marchander.
Un peu pour veiller au budget. Un peu par doute de s’être fait annoncer un prix
pour gringos. Aussi parce qu’un grand voyageur doit forcément être un maitre du
marchandage.
Dans la Sierra, pendant la saison des pluies,
les marchés sont froids et humides et les marchands y attendent depuis le petit
matin. On ne saurait donner un âge à certaines femmes au visage ridé et fatigué
et aux mains noueuses. Les marchés sont une orgie de couleurs et d’odeurs mais
la vie ne doit pas y être facile. Les pommes de terre se vendent à 1,5 sole le
kilo, trente sept centimes d’euros environ. J’ai vu les carrés de pomme de
terre dans la Sierra. Il n’y a pas de mécanisation. La terre est travaillée
avec une petite bêche dans des pentes raides à plusieurs milliers de mètres
d’altitude. Les hameaux sont eux aussi perdus dans ces hauteurs. Les paysans
vendent leurs pommes de terre à 80 centimes de sole le kilo, vingt centimes
d’euros environ.
Parfois, en petit occidental gâté, j’aurais
honte de marchander. Alors je m’abstiens.
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