jeudi 22 février 2018

PETITES PENSÉES EN VOYAGE

Résilience

Un grand voyage à vélo, ce n’est pas facile…


Il y a le matin. Il faut s’extraire de la tente quel que soit le temps. Il ne faut pas trainer avec les kilomètres prévus et la météo qui s’annonce. Il faut repartir avec les courbatures de la veille, avec souvent pour échauffement une côte difficile.

Il y a le soleil. Il est toujours plus proche de la verticale sous les basses latitudes, implacable. Le climat est tantôt humide comme en Amazonie, tantôt aride comme dans le désert péruvien, deux styles différents. Si la route est goudronnée, la chaleur s’accumule. Il n’y a ni vent, ni ombre. Il faut mouiller son t-shirt à chaque point d’eau. Si il y en a. Les vêtements s’imprègnent de sueur. Les irritations apparaissent. Il faut boire mais l’eau des gourdes est chaude. Les réserves sont souvent insuffisantes car il ne faut pas trop se charger pour les côtes. Parfois la température corporelle ne baisse pas et une petite angoisse s’installe. Et bien sûr il y a les coups de soleil.

Il y a la lumière aveuglante. Elle impose le port de lunettes. Avec la chaleur, la crème solaire et la sueur mélangées coulent, brulent les yeux et salissent les verres. Alors on enlève les lunettes. C’est en général à ce moment qu’un insecte vient s’écraser dans l’œil.

Il y a la pluie tropicale. C’est amusant au début, on a l’impression de prendre une douce chaude. Mais on finit trempé, même sous une bonne veste respirante en Gore-tex, vu la chaleur. Dans ce climat, les affaires sèchent mal et ont une odeur repoussante. Surtout, la pluie peut inonder la route et rendre la circulation dangereuse.

Il y a la pluie de la Sierra, froide et torrentielle. On finit glacé. Il faut veiller à protéger toutes les affaires. Les enfants, particulièrement exposés à l’avant et assis, doivent être couverts au maximum.

Il y a le froid. Pendant l’effort, ce n’est pas un problème, on se réchauffe. Il faut gérer les couches de vêtements pour ne pas transpirer et se retrouver mouillés ensuite. Au bivouac, il faut bien se couvrir et se réfugier vite dans son duvet.

Il y a le vent. De face, tout le monde aura compris. Passons. De côté, il ralentit, fait rouler penché et fait faire des embardées sur la route. Quant au vent arrière, il semble si rare.

Il y a l’altitude. Elle prive d’oxygène, nous coupe le souffle et même parfois nous donne l’impression de nous asphyxier. Elle augmente les risques du soleil. Le mal des montagnes est dangereux et imprévisible.

Il y a les côtes interminables. Elles imposent des journées de plus de huit heures de pédalage. Elles font chuter notre moyenne à moins de quatre kilomètres par heure. Chaque coup de pédale, pourtant au rapport le plus facile, est un effort. Plus vite ce n’est pas possible. Moins vite, on perd l’équilibre. Dans les côtes trop raides, il faut faire descendre les enfants et pousser le vélo à deux. Redescendre à pied, chercher l’autre vélo et le pousser un peu plus haut que le premier. Et ainsi de suite.

Il y a les descentes vertigineuses. Il ne faut pas laisser les vélos trop lourds dévaler. Les mains sont crispées sur les freins en espérant qu’ils vont tenir. C’est à pleine vitesse que l’insecte s’écrase dans l’œil ou s’engouffre dans la gorge.

Il y a le dilemme des pauses. Elles offrent un peu de répit mais on se refroidit ou les insectes en profitent pour attaquer. Et à chaque nouveau départ les cuisses brulent et il faut retrouver son souffle.

Il y a le poids. L’Union Cycliste Internationale impose un poids minimum de vélo prêt à rouler au tour de France de 6,8 kilos. Les nôtres chargés pèsent environ 80 kilos, auxquels il faut rajouter le poids des enfants qui ne pédalent pas tout le temps.

Il y a la position. Les poignets et la paume des mains sont en appui inconfortable. Parfois, la tête relevée entraine des raideurs de la nuque et des maux de tête. Souvent, les fesses ne supportent plus la selle.

Il y a la fatigue. Le bivouac et les hôtels bon marché, bruyants et inconfortables, ne permettent pas forcément un sommeil récupérateur.

Il y a la soif. Nous transportons un filtre à eau, un poids et une corvée supplémentaire mais un principe de biosécurité judicieux. Comme évoqué plus haut, nous préparons tous les matins de l’eau en tachant de prévoir un compromis entre nos besoins liés à l’itinéraire, la chaleur, la possibilité de retrouver des points d’eau et la chasse au poids. L’eau peut avoir un goût à la source, prendre celui du plastique des gourdes, chauffer,…

Il y a la faim. Nous brulons des calories, mais l’effort et la fatigue coupent souvent l’appétit. Nous transportons peu de nourriture, toujours pour la chasse au poids. La cuisine du bivouac est toujours la même. Les menus des petits restaurants ne varient pas. Nous commandons deux assiettes pour nous quatre et nous ne les finissons pas. Suivent des petites hypoglycémies, perte de poids,…

Il y a la poussière, la sueur, le cambouis,… Entre les bivouacs et les douches froides des hôtels, l’hygiène est souvent douteuse.

Il y a la circulation. Oppressante et potentiellement dangereuse par endroits. J’y reviendrai dans une autre pensée.

Tout cela ne dure pas que le temps d’une sortie entre copains. C’est pratiquement toute la journée, tous le jours, depuis des mois.

Mais alors, pourquoi ?

Je n’essayerai pas de répondre pour la famille, mais seulement pour moi. J’aimerais pouvoir dire, comme le Terminator, que « La douleur est une simple information ». Mais c’est une machine indestructible, jouée par Arnold Schwarzenegger dans un film américain de science-fiction (James Cameron, 1991). Ce n’est pas ma réalité.

La véritable épreuve est injuste, on ne la ni choisie, ni méritée. Elle vient nous frapper dans le dos et nous cloue dans un lit d’hôpital ou dans un fauteuil roulant. La véritable épreuve est violente et son issue incertaine. C’est la maladie, l’accident,…

A la veille de ma première séance de chimiothérapie, les questionnant sur mes chances de survie, le radio-oncologue m’avait répondu : « C’est avancé, on ne se le cache pas. », et le cancérologue : « Avec quelqu’un comme vous, on part gagnant ». A vingt neuf ans, j’avais choisi mon camp. Et j’ai gagné.

Après mon accident de voiture, le pronostic caché de certains thérapeutes du centre de réadaptation était qu’au mieux je remarcherai avec une canne. L’un d’entre eux me dit de continuer à travailler et rajouta « De toute manière, tu n’es pas capable de faire autrement ». A trente et un an, j’ai tenu ma promesse et quittais le centre en marchant.

Nelson Mandela a dit : « Ne me jugez pas sur mes succès, jugez-moi sur le nombre de fois où je suis tombé et où je me suis relevé à nouveau ». Je n’admire pas forcément la victoire, mais plutôt le combat. J’ai vu des gens lutter. J’en ai vu guérir, remarcher, s’adapter à leur handicap, pleurer dans un mélange de joie et de souffrance évacuée.
J’ai également vu des combats à l’issue moins heureuse. J’ai vu un homme demander l’arrêt de sa chimiothérapie, devenue insupportable, en connaissant les conséquences de son choix. J’en ai vu dont les soins n’étaient plus que palliatifs. J’ai vu des gamins lourdement handicapés suite à des accidents stupides… Je surnommais le centre de réadaptation « Vol au dessus d’un nid de coucou » comme le film de Miloš Forman de 1975, tant la souffrance humaine y trouvait des formes variées.

Puisque j’écris sur le cyclisme et le combat, quel exemple que celui de Lance Armstrong ! Quel dommage qu’il ait persévéré dans un autre style de chimiothérapie, comme certainement bon nombre de ses concurrents, égratignant l’espoir qu’il pouvait donner à de nombreux malades.

Dois-je me confier sur mes luttes ou les enfouir dans ma mémoire ? Je me contente de les évoquer ici pour développer mon raisonnement. J’y reviendrai peut être un jour.

Pour en revenir à la question initiale : non, les difficultés d’un grand voyage à vélo ne sont pas insurmontables. C’est un choix, personne ne nous a forcés. Et on arrête quand ou veut.

J’ai toujours été attiré par les grands voyages. En regardant mon histoire, je constate que je peux le faire et qu’il s’en ait fallu de peux que je ne puisse plus jamais le faire. Puisque j’ai cette chance, il ne tient qu’à moi de réaliser mes rêves en chassant les prétextes et les mauvaises excuses.
En regardant les histoires des autres moins chanceux, je conclue que je dois le faire.

Nietzsche a écrit dans Le crépuscule des idoles, 1888, « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Dans un contexte martial peut-être, mais certainement pas après une épreuve de la vie. Il y a les séquelles physiques, mais aussi le traumatisme. Après avoir surmonté des épreuves, j’écris « je dois le faire ». Pourquoi ? Pour me prouver une fois de plus, et au reste du monde, que j’ai gagné ? C’est une course en avant et le reste du monde a d’autres soucis. Il m’est arrivé au cours du voyage dans des pentes infernales de me dire « Qu’ai-je fait de mal pour mériter de m’infliger ça ! ». Friedrich tu t’es trompé, certains deviennent un peu fous…

Parfois nous prenons quelques jours de repos et… nous havons hâte de reprendre le vélo. Nous avons envie de pédaler. Nous avons besoin de pédaler. La littérature scientifique décrit largement les bienfaits physiques et physiologiques du Runner’s high (ex : The Runner's High: Opioidergic Mechanisms in the Human Brain. Boecker et al. 2008). C’est un phénomène biologique lié à la libération d’endorphines suite à l’exercice prolongé qui agissent positivement sur notre organisme. Finalement, en baver à vélo nous fait du bien et est addictif…

Et puis, il y a les belles rencontres imprévues, les pistes perdues au milieu de paysages grandioses, les animaux observés, l’aventure,... que le voyage vélo offre et qu’on a le sentiment d’avoir bien mérités.

Alors quand c’est dur, je n’ose le dire aux autres, mais je me crie en silence « Tais toi et pédale ! »

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