PETITES PENSÉES
EN VOYAGE
Résilience
Un grand voyage à vélo, ce n’est pas facile…
Il y a le matin. Il
faut s’extraire de la tente quel que soit le temps. Il ne faut pas
trainer avec les kilomètres prévus et la météo qui s’annonce.
Il faut repartir avec les courbatures de la veille, avec souvent pour
échauffement une côte difficile.
Il y a le soleil. Il
est toujours plus proche de la verticale sous les basses latitudes,
implacable. Le climat est tantôt humide comme en Amazonie, tantôt
aride comme dans le désert péruvien, deux styles différents. Si la
route est goudronnée, la chaleur s’accumule. Il n’y a ni vent,
ni ombre. Il faut mouiller son t-shirt à chaque point d’eau. Si il
y en a. Les vêtements s’imprègnent de sueur. Les irritations
apparaissent. Il faut boire mais l’eau des gourdes est chaude. Les
réserves sont souvent insuffisantes car il ne faut pas trop se
charger pour les côtes. Parfois la température corporelle ne baisse
pas et une petite angoisse s’installe. Et bien sûr il y a les
coups de soleil.
Il y a la lumière
aveuglante. Elle impose le port de lunettes. Avec la chaleur, la
crème solaire et la sueur mélangées coulent, brulent les yeux et
salissent les verres. Alors on enlève les lunettes. C’est en
général à ce moment qu’un insecte vient s’écraser dans l’œil.
Il y a la pluie
tropicale. C’est amusant au début, on a l’impression de prendre
une douce chaude. Mais on finit trempé, même sous une bonne veste
respirante en Gore-tex, vu la chaleur. Dans ce climat, les affaires
sèchent mal et ont une odeur repoussante. Surtout, la pluie peut inonder la route et rendre la circulation
dangereuse.
Il y a la pluie de
la Sierra, froide et torrentielle. On finit glacé. Il faut veiller à
protéger toutes les affaires. Les enfants, particulièrement exposés
à l’avant et assis, doivent être couverts au maximum.
Il y a le froid.
Pendant l’effort, ce n’est pas un problème, on se réchauffe. Il
faut gérer les couches de vêtements pour ne pas transpirer et se
retrouver mouillés ensuite. Au bivouac, il faut bien se couvrir et
se réfugier vite dans son duvet.
Il y a le vent. De
face, tout le monde aura compris. Passons. De côté, il ralentit,
fait rouler penché et fait faire des embardées sur la route. Quant
au vent arrière, il semble si rare.
Il y a l’altitude.
Elle prive d’oxygène, nous coupe le souffle et même parfois nous
donne l’impression de nous asphyxier. Elle augmente les risques du
soleil. Le mal des montagnes est dangereux et imprévisible.
Il y a les côtes
interminables. Elles imposent des journées de plus de huit heures de
pédalage. Elles font chuter notre moyenne à moins de quatre
kilomètres par heure. Chaque coup de pédale, pourtant au rapport le
plus facile, est un effort. Plus vite ce n’est pas possible. Moins
vite, on perd l’équilibre. Dans les côtes trop raides, il faut
faire descendre les enfants et pousser le vélo à deux. Redescendre
à pied, chercher l’autre vélo et le pousser un peu plus haut que
le premier. Et ainsi de suite.
Il y a les descentes
vertigineuses. Il ne faut pas laisser les vélos trop lourds dévaler.
Les mains sont crispées sur les freins en espérant qu’ils vont
tenir. C’est à pleine vitesse que l’insecte s’écrase dans l’œil ou s’engouffre dans la gorge.
Il y a le dilemme
des pauses. Elles offrent un peu de répit mais on se refroidit ou
les insectes en profitent pour attaquer. Et à chaque nouveau départ
les cuisses brulent et il faut retrouver son souffle.
Il y a le poids.
L’Union Cycliste Internationale impose un poids minimum de vélo
prêt à rouler au tour de France de 6,8 kilos. Les nôtres chargés
pèsent environ 80 kilos, auxquels il faut rajouter le poids des
enfants qui ne pédalent pas tout le temps.
Il y a la position.
Les poignets et la paume des mains sont en appui inconfortable.
Parfois, la tête relevée entraine des raideurs de la nuque et des
maux de tête. Souvent, les fesses ne supportent plus la selle.
Il y a la fatigue.
Le bivouac et les hôtels bon marché, bruyants et inconfortables, ne
permettent pas forcément un sommeil récupérateur.
Il y a la soif. Nous
transportons un filtre à eau, un poids et une corvée supplémentaire
mais un principe de biosécurité judicieux. Comme évoqué plus
haut, nous préparons tous les matins de l’eau en tachant de
prévoir un compromis entre nos besoins liés à l’itinéraire, la
chaleur, la possibilité de retrouver des points d’eau et la chasse
au poids. L’eau peut avoir un goût à la source, prendre celui du
plastique des gourdes, chauffer,…
Il y a la faim. Nous
brulons des calories, mais l’effort et la fatigue coupent souvent
l’appétit. Nous transportons peu de nourriture, toujours pour la
chasse au poids. La cuisine du bivouac est toujours la même. Les
menus des petits restaurants ne varient pas. Nous commandons deux
assiettes pour nous quatre et nous ne les finissons pas. Suivent des
petites hypoglycémies, perte de poids,…
Il y a la poussière,
la sueur, le cambouis,… Entre les bivouacs et les douches froides
des hôtels, l’hygiène est souvent douteuse.
Il y a la circulation. Oppressante et potentiellement dangereuse par endroits.
J’y reviendrai dans une autre pensée.
Tout cela ne dure
pas que le temps d’une sortie entre copains. C’est pratiquement
toute la journée, tous le jours, depuis des mois.
Mais alors,
pourquoi ?
Je n’essayerai pas
de répondre pour la famille, mais seulement pour moi. J’aimerais
pouvoir dire, comme le Terminator, que « La douleur est une
simple information ». Mais c’est une machine indestructible,
jouée par Arnold Schwarzenegger dans un film américain de
science-fiction (James Cameron, 1991). Ce n’est pas ma réalité.
La véritable
épreuve est injuste, on ne la ni choisie, ni méritée. Elle vient
nous frapper dans le dos et nous cloue dans un lit d’hôpital ou
dans un fauteuil roulant. La véritable épreuve est violente et son
issue incertaine. C’est la maladie, l’accident,…
A la veille de ma
première séance de chimiothérapie, les questionnant sur mes
chances de survie, le radio-oncologue m’avait répondu :
« C’est avancé, on ne se le cache pas. », et le
cancérologue : « Avec quelqu’un comme vous, on part
gagnant ». A vingt neuf ans, j’avais choisi mon camp. Et j’ai
gagné.
Après mon accident
de voiture, le pronostic caché de certains thérapeutes du centre de
réadaptation était qu’au mieux je remarcherai avec une canne.
L’un d’entre eux me dit de continuer à travailler et rajouta
« De toute manière, tu n’es pas capable de faire
autrement ». A trente et un an, j’ai tenu ma promesse et
quittais le centre en marchant.
Nelson Mandela a
dit : « Ne me jugez pas sur mes succès, jugez-moi sur le
nombre de fois où je suis tombé et où je me suis relevé à
nouveau ». Je n’admire pas forcément la victoire, mais
plutôt le combat. J’ai vu des gens lutter. J’en ai vu guérir,
remarcher, s’adapter à leur handicap, pleurer dans un mélange de
joie et de souffrance évacuée.
J’ai également vu
des combats à l’issue moins heureuse. J’ai vu un homme demander
l’arrêt de sa chimiothérapie, devenue insupportable, en
connaissant les conséquences de son choix. J’en ai vu dont les
soins n’étaient plus que palliatifs. J’ai vu des gamins
lourdement handicapés suite à des accidents stupides… Je
surnommais le centre de réadaptation « Vol au dessus d’un
nid de coucou » comme le film de Miloš Forman de 1975, tant la
souffrance humaine y trouvait des formes variées.
Puisque j’écris
sur le cyclisme et le combat, quel exemple que celui de Lance
Armstrong ! Quel dommage qu’il ait persévéré dans un autre
style de chimiothérapie, comme certainement bon nombre de ses
concurrents, égratignant l’espoir qu’il pouvait donner à de
nombreux malades.
Dois-je me confier
sur mes luttes ou les enfouir dans ma mémoire ? Je me contente
de les évoquer ici pour développer mon raisonnement. J’y
reviendrai peut être un jour.
Pour en revenir à
la question initiale : non, les difficultés d’un grand voyage
à vélo ne sont pas insurmontables. C’est un choix, personne ne
nous a forcés. Et on arrête quand ou veut.
J’ai toujours été
attiré par les grands voyages. En regardant mon histoire, je
constate que je peux le faire et qu’il s’en ait fallu de peux que
je ne puisse plus jamais le faire. Puisque j’ai cette chance, il ne
tient qu’à moi de réaliser mes rêves en chassant les prétextes
et les mauvaises excuses.
En regardant les
histoires des autres moins chanceux, je conclue que je dois le faire.
Nietzsche a écrit
dans Le crépuscule des idoles, 1888, « Ce qui ne nous
tue pas nous rend plus fort ». Dans un contexte martial
peut-être, mais certainement pas après une épreuve de la vie. Il y
a les séquelles physiques, mais aussi le traumatisme. Après avoir
surmonté des épreuves, j’écris « je dois le faire ».
Pourquoi ? Pour me prouver une fois de plus, et au reste du
monde, que j’ai gagné ? C’est une course en avant et le
reste du monde a d’autres soucis. Il m’est arrivé au cours du
voyage dans des pentes infernales de me dire « Qu’ai-je fait
de mal pour mériter de m’infliger ça ! ». Friedrich tu
t’es trompé, certains deviennent un peu fous…
Parfois nous prenons
quelques jours de repos et… nous havons hâte de reprendre le vélo.
Nous avons envie de pédaler. Nous avons besoin de pédaler. La
littérature scientifique décrit largement les bienfaits physiques
et physiologiques du Runner’s high (ex : The Runner's High:
Opioidergic Mechanisms in the Human Brain. Boecker et al. 2008).
C’est un phénomène biologique lié à la libération
d’endorphines suite à l’exercice prolongé qui agissent
positivement sur notre organisme. Finalement, en baver à vélo nous
fait du bien et est addictif…
Et puis, il y a les
belles rencontres imprévues, les pistes perdues au milieu de
paysages grandioses, les animaux observés, l’aventure,... que le
voyage vélo offre et qu’on a le sentiment d’avoir bien mérités.
Alors quand c’est
dur, je n’ose le dire aux autres, mais je me crie en silence « Tais
toi et pédale ! »
Greg, Merci pour ce passage!
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